Dans les mâchoires de l'Histoire. Une semaine en Palestine avec la 31ème mission civile internationale pour la protection du peuple palestinien

Jeudi 3 octobre 2002

New Imperial Hotel (celui de Selma Lagerlöf en 1900), Jaffa Gate, Jérusalem.

C'est ici que le petit groupe dont je vais faire partie se forme : Laurent et Sophie, retrouvés dès l'aéroport, Nadia, Lili (72 ans), et Hind, qui n'est pas encore arrivée.

Je suis ici en pacifiste. Mon syndrome de Jérusalem ?

Vendredi 4

Au complet, nous quittons dans l'après-midi la capitale des superstitions pour Naplouse, sous couvre-feu depuis plus de cent jours.

Une soixantaine de kilomètres de route, deux check points que des soldats de vingt ans nous laissent assez négligemment passer.

La ville est très abîmée. Beaucoup de bâtiments, notamment administratifs, sont complètement détruits.

Nous dormons au centre médical, accueillis par une jeune américaine, Susan, et un français, Karim. Ils font partie d'ISM (International Solidarity Movement).

Au programme de demain : les écoles (aider les enfants à aller à l'école malgré le couvre-feu), et la récolte des olives, pour un autre groupe dont j'ai souhaité faire partie.

Samedi 5

Énormément de choses.

Le couvre-feu a été accentué. Les chars sillonnent la ville (c'est à dire que leurs chenilles creusent vraiment de petits sillons dans le goudron). Beaucoup de tirs.

On nous dit qu'il s'agit de tirs israéliens, en l'air, pour faire peur.

Mais dans la vieille ville et dans les camps de réfugiés, les gens sont armés : le Fatah. Il se peut qu'il y ait quelquefois des répliques, à l'arme légère.

Pas d'olives aujourd?hui. Le matin, on est aux écoles, dans Amman Street. On suit les chars, on surveille le comportement des soldats aux check points.

On grille sous le soleil.

L'après-midi, je refuse de m'associer à une action que je trouve ridicule et dangereuse : dégager à la pelle un énorme barrage de terre sur une route.

Abysses de doute. Au bout de quelques heures, quand l'action se termine, - je ne crois pas que la route soit dégagée pour autant - je participe en ramenant une pelle au centre médical.

Dimanche 6

Dans un village proche, réunion préparatoire à la campagne de cueillette des olives. Il faut penser à tout. Les colons tirent à vue. Les palestiniens que nous rencontrons, du PPP (Palestinian Popular Party, ex-communiste), sont enthousiastes à l'idée de recevoir des pacifistes israéliens.

Rencontre avec des paysans. Eva, ma collègue du moment, prend la parole pour présenter la campagne.

A propos d'hier : de moins en moins de regrets.

Lundi 7

Couvre-feu levé, enfants à l'école, ronde de taxis, mais check points, bulldozers dans la ville, routes défoncées, tirs.

Visite d'une maison nouvellement occupée par l'armée. Les soldats, plutôt détendus, acceptent de parler avec nous. D'après l'un d'eux, la famille expulsée devrait rentrer samedi. Mais on sent bien que dans cette situation, la logique militaire primera sur toute autre. La maison surplombe une des entrées de Naplouse. En fait, la ville est assiégée.

Mardi 8

Couvre-feu. Soldats très stricts et agressifs. Pas moyen de faire entrer les enfants dans l'école. Pierres jetées. Tirs du tank qui contrôle l'entrée des écoles.

La nuit, à trois heures du matin, deux jeeps viennent arrêter quatre personnes dans une maison près de la nôtre, au camp de Balata où nous dormons depuis quatre jours. Les coups de feu des soldats réveillent tout le camp. Dans le noir, nous sommes terrifiés. Mais au matin, ça ne fait même pas un sujet de conversation dans la rue.

Départ prévu pour Qalqilya.

Mercredi 9

Après de longues délibérations, le groupe s'est séparé. Trois partent pour Jénine, où il y aurait urgence, et trois vers Qalqilya pour voir le mur que les israéliens sont en train de construire entre Israël et la Cisjordanie. Je fais partie du groupe de Qalqilya.

Nous quittons Naplouse par une route délirante qui zigzague en plein champs entre les oliviers. Le plus incroyable étant que sur cette « route » se pressent les véhicules qui bravent les interdits israéliens.

Avec le PARC - Palestinian Agricultural Relief Committees - nous visitons des serres dans une oasis magnifique, nous mangeons du poulet cuit à la braise et des fruits. Irréel après les quelques jours que nous venons de vivre. On nous explique que si le mur se construit dans cette région, ce n?est pas pour des questions de sécurité mais pour grignoter les meilleures terres agricoles palestiniennes.

Hébergés chez l'agronome du PARC. Narguilé, bucolisme, vue sur Israël illuminé, à portée de main. Discours très anti-juif d'un oncle : « Aucun pays sur terre ne veut des juifs » et du fils : « Les juifs sont comme le cancer ». Evidemment, cela rappelle le discours du général israélien qui voudrait « traiter le cancer palestinien à la chimio ».

Ils sont d'accord sur les métaphores.

Jeudi 10

Nous passons la matinée avec l'agronome, Sadeq. Il nous montre comment les colonies s'étendent sur les terres palestiniennes. De sinistres marques rouges sur les serres indiquent les endroits où de futures routes israéliennes doivent passer. C'est les soldats qui font ce travail. Le paysan a le choix entre accepter un peu d'argent ou être tout simplement volé. Nous en rencontrons un qui a refusé l'argent. Il a perdu sa serre et risque de faire quelques jours de prison.

Tout autour de Qalqilya, juste derrière la ligne verte - la frontière entre Israël et la Cisjordanie, qui date du cessez-le-feu de 1949 -, les colonies forment un réseau de routes israéliennes, défendues et parcourues par l'armée.

Le poisson arabe se débat encore dans le filet.

Après-midi à Ramallah. Devant la Mouquata détruite, nous voyons nos premiers soldats palestiniens. Ils sont quatre ou cinq. L'un d'eux, bedonnant : « Il n'y a rien à dire, il n'y a qu'à regarder. »

Il n'y a plus de Palestine.