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Chemins qui mènent quelque part, III

L’expérience de Quoa

De quoi parlons-nous quand nous parlons ensemble?

Pour monter au plateau d’Emparis, dans l’Oisans, un des sentiers de randonnée passe par deux lieux-dits. D’abord Quoa, puis Loutre de Quoa. Leur direction est indiquée par des panneaux à la sortie du village de Besse. Pendant notre semaine de location cet été là, ils sont devenus des points de repères familiers. En paroles tout du moins.

Allions-nous passer par Quoa et Loutre de Quoa, ou allions-nous choisir le second itinéraire, qui escalade un autre flanc de la montagne, à partir du camping? Mais dans le paysage, sous nos yeux, jamais Quoa ni Loutre ne nous sont réellement apparus. Ce sont restés des appellations vagues. Je suis incapable de dire de quel genre d’endroit il s’agissait, à quoi ces noms faisaient précisément référence dans le massif.

Commençons par Quoa. Un lieu-dit dans la montée, signalé à un moment par un simple panneau de bois. Il aurait pu être placé cinquante mètres avant ou après. Pour que l’endroit ait été nommé, il faut qu’il ait eu une utilité particulière à une certaine époque. L’endroit se trouve peu avant d’entrer dans les bois. Une prairie d’alpage? Les explications demandées à un natif, pourtant loquace par ailleurs, sont restées évasives sur le pourquoi de Quoa.

Loutre de Quoa, c’est après, en continuant la montée à travers la forêt. L’après Quoa, quoi, d’après une étymologie possible. “L’outre” pouvait donc être le nom du petit col qui terminait l'ascension, celui de l’autre versant de la montagne par lequel le sentier ne nous faisait pas passer, ou pourquoi pas le nom d’un chalet visible en contrebas. Sur le chemin d’Emparis, plus aucune indication ne nous est apparue pour trancher la question, et la carte n’était pas plus explicite. Je ne sais toujours pas si mes pieds ont foulé Loutre de Quoa.

Ce qui est amusant, c’est que ce nom désigne lui-même une quête: qu’y-a-t-il derrière les “quoi”? J’ai mis la main sur Quoa grâce à un panneau, mais son outre m’a échappé. L’outre, c’est l’au-delà du fait que des références communes nourrissent nos conversations. Il faut bien que celles-ci désignent quelque chose. Un substrat réel toujours là, à la portée de nos yeux, de nos mains, de nos pieds, résillé par des noms dont la signification peut se perdre, mais qui reste à peu près inamovible pour l’expérience humaine. Comme cette montagne, devenue terrain de jeu après avoir fait partie d’un monde paysan. Ou dans la plaine, le trajet des rivières et des fleuves, dont les noms sont si anciens.

Passer une semaine dans un village de montagne ne fait pas un montagnard. Le long de ce sentier pourtant, le réseau de repères avec lequel nous avons frayé en randonneurs peu aguerris permettait d’entrevoir, de façon fugitive, ce que “ici” a pu signifier dans le passé.